Moreau Jeanne

Anonyme

Moreau Jeanne


Lorsque s'éteint la ville
Et que dorment les parents
Toutes les jeunes filles
Se lèvent prudemment
Toutes les filles, toutes les filles en sautillant
Tenant leurs escarpins délicatement
Elles s'en vont malgré le vent
Dans les bois et dans les champs
Pour s'allonger dans les bras
De leurs amants
Dans les bras anonymes, anonymes,
Anonymes, anonymes de l'amour

Quand s'endorment les filles
Que font donc leurs amants ?
Ils partent vers la ville
À travers bois et champs
Toutes les femmes, toutes les femmes mariées
Ont laissé leurs persiennes entrebâillées
Et pendant que leurs maris
Rêvent de la femme d'un ami
Un intrus se glisse au lit amoureusement
Dans les bras anonymes, anonymes,
Anonymes, anonymes de l'amour

Lorsque reposent leurs femmes
Blotties contre l'amant
Les maris, l'œil en flamme,
Escaladent les couvents
Et les nonnes, et les nonnes qui croient rêver
S'imaginant serrer leurs oreillers
Stupéfaites, se réveillent
Dans les bras d'un sous-préfet
Qui leur chuchote à l'oreille
La bouche en biais
Je serai anonyme, anonyme,
Anonyme, anonyme, mon amour

Tout le long des gouttières
S'agrippent les hommes en blanc
Et chez les chambrières
Sommeillent les présidents
Et la Lune, et la Lune en son quartier
Illumine les alcôves parfumées
Où se roulent les charbonniers
Donnant de fougueux baisers
À des dames distinguées
En pâmoison
Dans les bras anonymes, anonymes,
Anonymes, anonymes de l'amour

Cette histoire se passe
Très loin, très loin d'ici
Que personne ne s'en fasse
Dans notre doux pays
Les amants ramassent les femmes perdues
Les jeunes filles seules des photos sont émues
Leurs parents sont gens fidèles
Les nonnes à leurs âmes veillent
Tout ce monde ne connaît pas
Les tentations
Des plaisirs anonymes, anonymes,
Anonymes, anonymes de l'amour
De l'amour, de l'amour