Tachan Henri

La Godasse

Tachan Henri


Bon sang! J'ai fait du pied 
A des tonnes de souliers 
Sous toutes les tables des salons d'thé, 
J'ai frotté mes arpions 
Aux mignons bottillons 
D'une cordonnière rue Mabillon, 
M'suis fait "cuirs et crépins" 
Pour un petit patin, 
Quatre bottines, trois escarpins... 
Cependant sur ma route 
Je vais à cloche pied 
Je vais à cloche-amour 
Je vais à cloche-soulier 

Et je cherche une godasse, 
Ma godasse jumelle, 
Une pas forcément belle, 
Une pas forcément d'classe, 
Une godasse de candeur, 
Une que j'étrennerai, 
Une que j'enlacerai 
De tout mon chausse-cœur! 

Saperlipopette, il 
Me souvient d'une fragile 
Sandale couleur de bois-des-îles, 
Elle criait : "Aimons-nous, 
Frottons nos caoutchoucs! 
Mon mari est chaussette-à-clous!" 
Mais mon rêve se trotte 
Car ce pied de linotte 
M'a trompé pour une paire de bottes... 
Depuis lors sur ma route 
Je vais la jambe croche, 
Un pied dans mon désert, 
Un pied dans ma galoche... 

Et je cherche une godasse, 
Ma godasse jumelle, 
Une pas forcément belle, 
Une pas forcément d'classe, 
Une godasse de candeur, 
Une que j'étrennerai, 
Une que j'enlacerai 
De tout mon chausse-cœur! 

De bottes en godillots, 
De spartiates en croqu'nots, 
Partout j'ai traîné mon pied-bot, 
J'ai passé des hivers 
Tirant la patte vers 
Mon unique pantoufle de vair, 
Petit Poucet boiteux, 
Toujours je n'avais d'yeux 
Que pour ma botte de sept lieues... 
Et enfin sur ma route, 
Dans une pauvre chambre, 
Devant un feu de bois, 
En plein cœur de décembre... 

J'ai trouvé ma godasse, 
Une godasse oubliée 
Par des millions de pieds 
Qui passent, qui passent, 
J'ai trouvé ma godasse, 
Une vieille grolle usée, 
Une pompe de musée, 
Une pauvre carcasse... 

J'ai trouvé, j'ai trouvé 
La godasse sentinelle 
De mes jeunes années, 
La godasse éternelle, 
J'ai trouvé, j'ai trouvé 
La godasse la plus belle 
Devant la cheminée: 
Mon sabot de Noël!