On disait qu'il venait d'Angers, Qu'il ne savait pas dire un mot. Sur la place du marché, Il fut entouré de badauds. Les uns chuchotaient: «Il n'est pas normal», Et d'autres criaient: «C'est un animal! Alors! Qu'est-c' que vous attendez Pour chasser cet idiot?» Ses cheveux lui tombaient en mèches. Il se tenait recroquevillé. «C'est le diable qui l'empêche De marcher la tête levée». Le curé lui tendit un pot de lait Qu'il lappa bruyamment et d'un seul trait. «Faudrait qu'on l'abreuve à la crèche. C'est Satan incarné!». Mon père qui, en ce temps-là, Etait maître d'école au village, Alla vers lui, tendant son bras, Malgré les mots de l'entourage. Mon père lui parla doucement. L'étranger murmura en bégayant Un nom qui sonnait par endroits Comme le nom de Gaspar. Mon père le prit avec lui Et Gaspard hésita un peu. Ma mère lava ses habits, Elle lui coupa les cheveux. Mon père, alors, lui apprit à parler, A lire, à écrire, à et calculer. Et mon père disait de lui: «Quel garçon prodigieux!». Près de l'école, il y avait Un champ de quelque cinq hectares, Que la commune nous baillait. J'y travaillais avec Gaspard. Comme nos récoltes furent bonnes, Après les rudes journées en automne, Les paysans nous maudissaient Quand on rentrait le soir. Plus tard, après Noel passé, Nos sorties devinrent plus rares. Et puis, vint ce jour de janvier, Etouffé d'un épais brouillard. Gaspard ne rentra pas pour le repas. Muet, je guettais le bruit de son pas. Mon père gronda, excédé: «Mais que fait donc Gaspard?». On l'a trouvé au petit matin, Dans la neige rouge de sang, Couché dans le petit chemin Qui va de la maison aux champs. Ses yeux ne reflétaient pas la peur, Mais seulement une infinie stupeur, Ou comme l'immense chagrin D'être haï autant. Un commissaire de passage Enquêta fort hâtivement. L'abbé fit le discours d'usage Qui nous consola bougrement. Le champ, depuis, est resté en jachère. Les gens, leurs chiens, ne me font plus la guerre Quand je vais jusqu'au village Par le chemin des champs.