Jacques Higelin

La fuite dans les idées

Jacques Higelin


Un soir où je prenais racine
Entre la cuisine et le bar
Dans un état
Secondaire
Planté comme un conifère
Devant
Ma ma-
-chine à frapper les mots
Incapable d'en a-
-ligner trois
Sans me sentir aussitôt la proie
D'une effroyable incertitu-
-ude

J'avais beau me gratter la tête
Réembobiner la copie-cassette
Où un quatuor
De pointures
Ténors de l'appoggiature
Marty-
-risaient
Le morceau que j'avais
Pompé sans le savoir
à Jean-Sé-
-bastien Bach, Vivaldi, Albinoni
Et peut-être aussi à Wolf-
-gang Amadeus
Mozart

Bien que n'étant pas homme
A désarmer devant les aléas de la
Création
Là, je me sentais comme
Une chenille accablée à la pensée
De finir papillon
Lorsqu'une idée sublime gra-
-cieuse et légitime
Surgie du fond de mon inconscient
S'en vint tout naturellement sonner les ma-
-tines entre mes deux
Tympans

Alors que je touchais au but
Tendu comme une sauterelle en rut
Un uppercut à la cervelle
Me décrochait l'occiput
Une foule d'idées préconçues
Un flot d'idées contradictoires
Un paquet d'idées saugrenues
Un tas d'idées sans queue ni tête
Par le canal de ma mémoire
S'est emparé de mon intellect
Et lui a mis le grappin dessus

Et l'idée fabuleuse
Qui me paraissait digne des esprits
Les plus performants
L'idée faramineuse
Dont la lumineuse clarté
Allait confondre l'humanité
Une idée simple et forte
Qui m'ouvrirait les portes
De la gloire, de la notoriété
De la faculté, des lupanars
Va savoir, de
L'Académie Char-
-les Cros

Cette idée qui m'était venue
Traumatisée par la cohue
Le blabla des idées
Creuses
Laborieuses
Profitant d'un é-
-clair de lucidité
Discrètement s'est é-
-vanouie
Laissant dans mon esprit délabré
Cette pensée que je vous do-
-nne à méditer

A quoi bon se faire trop d'idées
Si on ne peut les dominer
J'espère
Que vous n'allez pas
M'abandonner
C'est toujours la première idée
Qui est la bo-
-onne

- Moi j'ai une idée, que c'est super, c'est une idée que....

- Dehors !