I Je vais dire la légende De celui qui s'est enfui Et fait les oiseaux des Andes Se taire au cœur de la nuit Quand d'abord nous l'entendîmes L'air était profond et doux Un instrument anonyme Préludait on ne sait d'où Naïfs entre deux éclipses Des paroles pour complot Sans craindre l'apocalypse Nous jouions avec les mots Le ciel était de velours Incompréhensiblement Le soir tombe et les beaux jours Meurent on ne sait comment Si bas que volât l'aronde Dans le ciel de par ici La plus belle voix du monde Effaçait les prophéties Comment croire, comment croire Au pas pesant des soldats Quand j'entends la chanson noire De Don Pablo Neruda II À Madrid il est consul En trente-six quand le feu Change sur la péninsule En ciel rouge le ciel bleu Le sang couvre dans Grenade Le parfum des orangers Quand s'éteint la sérénade Du rouge-gorge égorgé C'est la fin des pigeon-vole Le vent nouveau maria Dans la romance espagnole Au Cid, Pasionaria Une voix américaine S'est mêlée aux musiciens Et dit l'amour, dit la haine Dit la mort des miliciens Toi qui racontais aux mères Comment meurent leurs enfants Neruda, la graine amère Mûrit dans l'air étouffant Te voici tel que toi-même Là-bas le Chili t'attend Il grandit dans l'anathème Le chanteur de quarante ans III Le feu, la fumée enfante Qui semble naître du toit Le peuple pour qui tu chantes A des yeux noirs comme toi Les maisons disent la terre Et les oiseaux à leur front Malaisément pourraient taire Ce que les hommes y font Rien désormais ne sépare Des lèvres le mot chanté Toute chose se compare À la seule liberté Lorsque la musique est belle Tous les hommes sont égaux Et l'injustice rebelle Paris ou Santiago Nous parlons même langage Et le même chant nous lie Une cage est une cage En France comme au Chili IV Mais une atroce aventure S'abat sur ce pays-là Ramenant la dictature Du Président Videla Neruda qui le dénonce Était hier son ami Le Président en réponse Au cachot le voudrait mis L'ambassade du Mexique L'a recueilli quelque temps Mes seigneurs quelle musique A fait le gouvernement Il a donné sa parole Que Pablo pouvait partir À l'étranger qu'il s'envole Nul ne veut le retenir L'auto quand à la frontière Elle parvient cependant Halte-là ! Machine arrière Par ordre du Président Depuis ce temps-là, mystère Les chiens l'ont en vain pisté Qui sait où Pablo se terre Pourtant on l'entend chanter V Sous le fouet de la famine Terre, terre des volcans Le gendarme te domine Mon vieux pays Araucan Pays double où peuvent vivre Des lièvres et des pumas Triste et beau comme le cuivre Au désert d'Atacama Avec tes forêts de hêtres Tes myrtes méridionaux Ô mon pays de salpêtre D'arsenic et de guano Mon pays contradictoire Jamais libre ni conquis Tu verras sur ton histoire Planer l'aigle des Yankees Entrez, entrez dans la danse Volcans, mes frères volcans L'étoile d'indépendance Luit pour le peuple Araucan VI Absent et présent ensemble Invisible mais trahi Neruda, que tu ressembles À ton malheureux pays Ta résidence c'est la mer Et le ciel en même temps Silencieux solitaire Et dans la foule chantant Noire et blanche l'existence L'insomnie a pour loyer Les nuits de la résistance Ont l'air de manteaux rayés Mais voici le matin blême Ça ne peut plus durer La Grèce et Jérusalem La Chine déchirée Déjà le monde entier forme Un rêve pareil au tien C'est un soleil énorme Qu'une main d'enfant retient