Hubert-Félix Thiéfaine

Sentiments Numériques Revisités

Hubert-Félix Thiéfaine


Quand les ombres du soir chevauchent sur la lande 
Avec dans leurs passeports Sherwood ou Brocéliande 
Quand les elfes titubent sous l'alcool de sorgho 
Dans les cercles succubes de la Lune en faisceaux 
Quand les vents de minuit décoiffent les serments 
Des amants sous les aulnes d'un hôtel flamand 
Quand tes visions nocturnes t'empêchent de rêver 
Et couvrent ton sommeil d'un voile inachevé 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand les chauves-souris flirtent avec les rossignols 
Dans les ruines d'un royaume où mon crâne est mongol 
Quand les syndicats brûlent nos rushes et nos démons 
Pour en finir avec le jugement des salauds 
Quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms 
Dans le bourdonnement des câbles à haute tension 
Quand tu m'offres épuisée sous l'oeil d'une opaline 
Les charmes vénéneux de tes fragrances intimes 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand les théâtres antiques recèlent nos orgies 
Catal Hoyük airport, Manco Capac City 
Quand nos murs se recouvrent de hiéroglyphes indiens 
Avec nos voix blafardes en feed back au matin 
Quand tes mangoustes viennent avaler mes couleuvres 
Dans ces nuits tropicales où rugit le grand oeuvre 
Quand l'ange anthropophage nous guide sur la colline 
Pour un nouveau festin de nos chairs androgynes 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand les clochards opposent la classe et l'infini 
A la vulgarité glauque de la bourgeoisie 
Quand les valets de cour, plaideurs pusillanimes 
Encombrent de leurs voix nos silences et nos rimes 
Quand aux détours d'un bar tu flingues aux lavabos 
Quelque juge emportant ma tête sur un plateau 
Quand tu branches les hélices de ma mémoire astrale 
Sur les capteurs-influx de ta flamme initiale 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand les traces de Rorschach sur la tôle ondulée 
Servent aux maîtres à tester l'autochtone humilié 
Quand sur la Moleskine des limousines en liesse 
Ils en rient en fumant la mucho cojones 
Quand les cris de l'amour croisent les crocs de la haine 
Dans l'encyclopédie des clameurs souterraines 
Quand je rentre amoché, fatigué, dézingué 
En rêvant de mourir sur ton ventre mouillé 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand dans la lumière sale d'un miroir tamisé 
Tu croises l'oeil éphémère d'une salamandre ailée 
Quand dans les brumes étales de nos corps transparents 
Tu réveilles mes volcans lumineux du néant 
Quand mes pensées confuses s'éclairent au magnésium 
Sur les écrans-secrets de ton pandémonium 
Quand mes bougainvillés se mêlent aux herbes folles 
Dans ta chaleur biguine au crépuscule créole 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime 

Quand les ombres du soir poursuivent sur la lande 
Le flash des feux arrières d'une soucoupe volante 
Quand le soleil se brûle aux contours de tes reins 
Parmi les masques obscurs d'un carnaval romain 
Quand l'ordre des humains nous sert dans son cocktail 
5 milliards de versions différentes du réel 
Quand tu pleures essoufflée au creux de ma poitrine 
Avec les doux murmures des fréquences féminines 
Je n'ai plus de mots assez durs 
Pour te dire que je t'aime