Nous sommes trois cents millions, massés derrière la porte Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser Une seule idée en tête, la porte, la porte, la porte Quand elle s'ouvrira, ce sera la ruée La vraie course à la mort, la tuerie sans passion Un seul gagnera, tous les autres mourront Même pas numérotés, seul un instinct nous guide On nous a baptisés: les spermatozoïdes. Le prix de la victoire, c'est une fille de joie Nous sommes trois cents millions et un seul l'aura Elle se fout du vainqueur, elle ne choisit même pas Elle se donne à tout l' monde, mais un seul à la fois Elle attend bien tranquille dans son palais douillet Le confort y est total, les serviteurs discrets Pas de nuit, pas de jour, pas de bruit, que l'amour L'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour. Nous bougeons lentement, faut pas s'ankyloser Quand on est d'vant la porte, on voudrait s'arrêter Si elle s'ouvrait maint'nant, je serais bien placé Mais non, les autres poussent, ça y est j'l'ai dépassée Et la ronde continue, la ronde des prisonniers Mais ce que l'on attend, c'n'est pas la liberté On n'se parle même pas, on garde les yeux baissés On ne regarde pas ceux qu'il faudra tuer. Soudain on s'arrête tous Plus personne ne pousse C'est l'instant qu'on attend Très subtil le changement On n'voit rien mais on l'sent Dehors, ça bouge lentement On espère, on redoute On n'bouge plus, on écoute Ca y est c'est parti, la porte est ouverte, c'est la ruée au dehors Ne pas s'affoler, ne pas s'affoler sinon c'est la mort Pas partir trop vite, la distance est longue, faut pas s'essouffler Déjà les premiers ont été massacrés, bousculés, piétinés Ce qui s'passe devant c'est pas important du moins pour l'intant, La mort vient dans l'dos, le croche-pied vicelard et le piétinement Le fouet bien en main j'en vois un qui s'approche, j'l'attends Il est à ma portée je m'retourne, vlan ! d'un coup d'fouet je l'descends. Faut être attentif, tous les nerfs tendus, prévoir le danger Tout c'qui s'passe autour, faut en être conscient, sentir et frapper. Quand l'un tourne le dos, s'il est à portée on lui règle son sort C'est la règle du jeu, la moindre pitié entraîne la mort. Sacré nom de Dieu, un coup d'fouet a sifflé juste derrière mes oreilles Mais j'dois être cinglé pour philosopher à un moment pareil Le fouet tournoyant, je cavale à mort pour me dégager, L'danger écarté, je reprends mon train, faut pas s'enerver. Déjà la moitié, les trois-quarts sont morts, ça s'est clairsemé On court plus lentement, on piétine des corps, on est fatigués Courir, courir, courir, courir, courir, courir, Tenir, tenir, tenir, tenir, tenir, tenir, Ceux qu'ont la rage de vivre, il n'y a qu'ceux-là qui tiennent Maint'nant on n'se bat plus, oh ce n'est plus la peine, Les mecs tombent un à un, morts avant d'toucher l'sol, Exténués, épuisés, vidés, rincés, ras l'bol. C'est bon d'se laisser choir, dormir comme les noyés Mais ceux qui s'laissent tomber, c'est pour l'éternité. Soudain je l'aperçois, il est devant mes yeux, Il est là devant moi, ce palais merveilleux: J'arrive ma toute belle, encore un p'tit effort Et je plonge dans la vie en sortant de la mort Mais non, je n'suis pas seul, deux mecs m'ont précédé Tellement épuisés qu'ils ne trouvent pas l'entrée. Je leur tombe dessus, les écrase, les bouscule, Je leur piétine la gueule et j'entre dans l'ovule. Que c'est beau, que c'est beau, J'entre dans un Paradis, Elle est là cette garce de vie Pendant neuf mois entre elle et moi, Ce s'ra l'Eden, le Nirvana. J'suis l'vainqueur des trois cents millions Je sors du Néant, j'ai un nom C'est merveilleux l'existence Ca commence par des vacances Que c'est beau, que c'est beau, Je vais en jouir à plein d'ces neuf mois sans problème Tranquille, baignant dans l'huile, sans amour et sans haine Sans froidure, ni chaleur, surtout sans société Parce que les autres, les vaches, ils m'attendent à l'entrée Tous les autres vaiqueurs, ceux qui sont d'jà dehors, Ils m'attendent pour se battre, pour voir qui s'ra l'plus fort. Ouais, quand je sortirai, il n'y aura plus d'vacances, Pendant soixante-dix ans, la bagarre recommence C'est la vie... c'est la vie... c'est la vie...