Raoul De Godewarsvelde

Le soldat de Marsala

Raoul De Godewarsvelde


Nous étions au nombre de mille
Venus d'Italie et d'ailleurs
Garibaldi, dans la Sicile
Nous conduisait en tirailleurs
J'étais un jour seul dans la plaine
Quand je trouve en face de moi
Un soldat de vingt ans à peine
Qui portait les couleurs du roi
Je vois son fusil se rabattre
C'était son droit, j'arme le mien
Il fait quatre pas, j'en fais quatre
Il vise mal, je vise bien.

Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là
Qu'on verse dans mon verre
Le vin de Marsala !

Il fit demi-tour sur lui-même.
Pourquoi diable m'a-t-il raté ?
Pauvre garçon ! il était blême
Vers lui je me précipitai.
Ah ! je ne chantais pas victoire
Mais je lui demandai pardon
Il avait soif, je le fis boire
D'un trait il vida mon bidon.
Puis je l'appuyai contre un arbre
Et j'essuyai son front glacé.
Son front sentait déjà le marbre
S'il pouvait n'être que blessé...

Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là
Qu'on verse dans mon verre
Le vin de Marsala !

Je voulus panser sa blessure
J'ouvris son uniforme blanc
La balle, sans éclaboussure
Avait passé du coeur au flanc.
Entre le drap et la chemise
Je vis le portrait en couleurs
D'une femme vieille et bien mise
Qui souriait avec douceur.
Depuis, j'ai vécu Dieu sait comme, 
Mais tant que cela doit durer
Je verrai mourir le jeune homme
Et la bonne dame pleurer.

Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là !
Qu'on emporte mon verre !
C'était à Marsala.