Je viens dans cette chambre m'étendre auprès de toi Beau cadavre qui râle au gré de mes délices Douce chair embaumée et blanche comme ce lys Qu'avant l'amour j'ai mis sur ton long torse froid Je ne suis pas un monstre mais une fille douce Que le désir des hommes jamais n'intéressa Je voulais être un autre et toi, vice versa Tu avais tout l'attrait des belles garces rousses Oui, roussot, tu l'étais, dans tes roses en satin Expert en fleurs factices, toi l'Hercule Farnèse C'était, il m'en souvient, en l'an quatre-vingt-treize Alors je décidai de tordre nos destins Tu acceptas le jeu, les chapeaux, les voilettes Les bijoux, les parfums, la soie, le chinchilla, L'hôtel particulier, les bouquets de lilas Et que je te vis nu, choisissant tes toilettes Que dire de nos étreintes qui puisse être entendu ? Réinventant l'amour, nous n'avions pas de normes Moi l'homme et toi la femme, ce rien était énorme Et pour te prendre, rien ne semblait défendu Échangeant nos deux rôles dans notre mise en scène À toi la bouche peinte et les seins maquillés Les longues pâmoisons dans les blancs oreillers J'avais, moi, la cravache et les ordres obscènes Mais il y avait un homme qui m'aimait sans retour, Un officier glorieux et droit comme une tige, Il nous surprit un soir et connut le vertige De voir comment bifurquent les chemins de l'amour Or, de quel crime étais-je la plus coupable en somme Celui de le tromper pour un de ses pareils Ou celui d'adorer l'équivoque merveille Face aux appas de qui il se sentait moins homme ? Il exigea qu'en duel l'affront se terminât Et c'est moi qu'il convia à payer nos audaces Mais dans le petit jour, c'est toi qui pris ma place Qui pris mon habit noir et c'est toi qu'il tua Alors je m'en fus chez un grand taxidermiste Qui t'embauma, mon cher, qui t'articula Mit des reliefs ici et des béances là Faisant de tout ton corps un rêve mécaniste Voilà pourquoi je peux, lorsque s'enfuit le jour, M'étendre auprès de toi, ma virile amoureuse Dans le parfum qui sied, phénol et tubéreuse Et, mort, te posséder de mon vivant amour Qui peut me condamner ? Le coeur est un rébus L'amour est un désordre et rien ne le commande Il reste obscur et muet, si d'aucuns lui demandent Qui de toi ou de moi était Monsieur Vénus.