Jeanne Cherhal

Les Berceaux Brodes

Jeanne Cherhal


Faut le berceau brodé 
Les sourires crispés 
Faut la vierge au-dessus 
De la nouvelle venue 
Faut surtout l'eau bénite 
Pour asperger la p'tite 
Qui chiale dans sa dentelle 
De noble damoiselle 
Dès ses premiers quarts d'heure 
Lui apprendre les bonnes moeurs 
Dès que l'heure est arrivée 
L'envoyer dans le privé 
Là faut être propre sur soi 
Faut pas se tâcher les doigts 
S'essuyer là pis là 
Faut même pas songer à 
Partager ses Petits Beurres 
Avec deux trois petits beurs 
Ni trop poser de questions 
De sexualisation 

Vient la prière du soir 
Le bivouac bord de Loire 
Pour durcir en cachette 
Le petit coeur de la louvette 
Faut pas la bousculer 
Faut pas la culbuter 
Faut pas compter non plus 
Lui mettre le grappin dessus 
Faut pas l'enivrer 
Faut pas l'embourber 
Faut pas la faire pleurer 
Mais vaut mieux l'enfleurer 

Vlà qu'elle rencontre Charles 
Qu'est si beau quand il parle 
Qui fait déjà partie 
Des jeunesses du parti 
Qu'a pas l'air d'un pédé 
Qu'a pas l'air d'un niakoué 
Qu'a pas l'air d'un pauvre gars 
Il aime pas ces gens-là 

Il la sort il la gâte 
Puis on arrête une date 
Les patriarches causent 
Les matrones sont roses 
Ils feront de beaux bébés 
Qu'auront de belles idées 
Qui grossiront la liste 
De la gent nationaliste 

Mais Charles il est patient 
Il sait que pour l'instant 
Faut qu'elle fasse attention 
A garder son hameçon 
Jusqu'à ce qu'il lui accroche 
A son doigt de la main gauche 
Un putain de vrai diamant 
Pour plaire à belle-maman 
C'est le passage obligé 
Pour pouvoir consommer 
Alors procréation 
Mais pas de récréation 
Faut rejeter les travers 
Les horreurs de la chair 
On sait bien ce que ça fait 
Des mal intentionnées 
Des tueuses d'enfants 
Qui baisent à tout venant 
Et qui vont se libérer 
Du fruit de leurs péchés 
Sans scrupule et sans honte 
Faut restaurer la tonte ! 

Faut le fils puis les filles 
Faut la jolie famille 
Faut belle-maman dévote 
Faut vieille cousine bigote 
Grand-oncle caporal 
Qui trône et qui se régale 
Au-dessus de la cheminée 
En matant la couvée 
Qu'il faut bien éduquer 
Faut mettre le paquet 
Faut que ça grandisse, soit 
Mais en penchant à droite 

Charles est devenu patron 
Il prend soin de ses rejetons 
Culture histoire tradition héraldique et bijoux 
Tous les ans avec Papa on va au Puy du Fou 

Elle, elle est blanche et fière 
Vernie, sertie, austère 
Et tous les matins passe 
Devant le sans-pain d'une autre race 
Qu'est assis, qu'est couché 
Et qui veut pas bosser 

Bientôt elle sera grand-mère 
Et sa dose de prières 
Augmentera encore 
Pour s'octroyer le sort 
Protéger les lardons 
D'abjectes tentations 
Hétéros ils seront 
Ou bien plus de ce nom 
Devant l'urne bêlant 
Sortiront pas du rang 
Courant qu'on se le dise 
S'épouser à l'église 

Quatre-vingt-douze hivers 
Faut revenir en arrière 
Quand il est temps de crever 
Au milieu de sa couvée 
Dans ses draps de vieille veuve 
Elle admire son oeuvre 
Et se dit que finalement 
Elle a perdu son temps 
Elle a perdu son cul 
A pas se faire monter dessus 
Elle a perdu son âme 
A trop juger infâme 
Ceux qui vivaient ailleurs 
Peut-être qui vivaient meilleur 
Elle crèvera de fatigue 
Desséchée comme une figue 
En détestable pieuse