Jean Guidoni

Allee Des Coquelicots

Jean Guidoni


J'ai rencontré souvent 
Dans l'épaisseur des villes 
Des types comme toi 
Errants sous les néons 
Des fugueurs de partout 
D'Asnieres ou de Belleville 
Qui cherchent dieu sait quoi 
Et ne sont qu'un prénom 
Ils marchent sur un fil 
Familiers des frontières 
Pour le moindre regard 
Ils te donnent leurs yeux 
Ils t'offrent leur sourire 
Comme entrée en matière 
Ce n'est pas le trottoir 
Non mais c'est sa banlieue 
Puis devant un lait-fraise 
Ils parlent comme en songes 
En trichant sur leur âge 
Ils s'inventent un destin 
Mais ils ne mentent pas 
Leur vie est un mensonge 
Et pour la traverser 
Ils n'ont qu'un jeans déteint 
Toi tu ne donnais jamais d'adresse 
Une fille qui faisait le tapin 
T'abritait ou bien un copain 
Pareil à toi dans la détresse 
Tu voulais vivre dans l'ivresse 
Au jour le jour, la nuit vivant 
Du feu sous tes semelles de vent 
Et jamais tu n'avais d'adresse 

Et quoi qu'on ait juré 
De vivre en égoïste 
On laisse au vagabond 
Les clefs de sa maison 
On se trouve imprudent 
Mais trop tard les artistes 
Emménagent leurs T-shirts . 
Leurs jeans et leurs blousons 
Ils font tourner leurs disques 
Sur ton électrophone 
Ils font vivre les meubles 
Comme font les animaux 
Dés qu'ils ont l'oeil ouvert 
Ils sont au téléphone 
Appelant des mères lointaines 
Qu'ils rassurent d'un bon mot 
Alors pendant qu'ils prennent 
Des bains interminables 
On cherche à mieux savoir 
Qui sont ces va nus pieds 
On se trouve bourgeois 
On se trouve minable 
Mais on fouille leur blousons 
Et on lit leurs papiers 

Toi tu avais bien trop d'adresses 
Du manque d'amis tu te plains 
Oui mais tes carnets en sont pleins 
Comme ceux des mecs à la redresse 

Il y a des stars du show-business 
Des filles que tu n'aimas un jour 
Des petits dealers de Beaubourg 
Mêlés dans tes carnets d'adresses 

Ils imprègnent ta vie 
D'un parfum d'aventure 
Et jouent avec la leur 
Tout comme au cerf-volant 
T'opposent à tes amis 
Et bousillent ta voiture 
Mais font du moindre geste 
Un acte étincelant 
Ils ont de grands projets 
Auxquels ils ne croient guère 
Ils sourient tristement 
Quand on leur dit demain 
Ils savent qu'ils se font 
A eux mêmes la guerre 
Et t'échappent en faisant 
Un signe de la main 
Puis rentrant au matin 
Après une nuit dingue 
Ils font couler l'eau 
Pour faire croire qu'ils s'en nettoient 
En plaisantant encore 
Ils enfoncent la seringue 
Et sans un mot d'adieu 
Ils viennent mourir chez toi 

Maintenant tu as une adresse 
C'est dans l'allée des Coquelicots 
Là ou les pleurs n'ont pas d'échos 
Entre les cyprès qui se dressent 
Que les doigts d'un ange caressent 
Puisque les miens sont impuissants 
Ton long corps qui va pourrissant 
Couché à ta dernière adresse