Le jeune conducteur du train de marchandises Qui va de Saint-Brieuc jusqu'à Romorantin, Transportant du charbon, du poisson, des cerises, Ce conducteur, disais-je, avait le gros béguin Pour la garde-barrière de Bouilladin sur Grive Et chaque fois qu'il passait au passage à niveau Hop ! Il ralentissait sa grosse locomotive Pour lui chanter cet air issu de son cerveau Roule, roule, mon joli train Je sens rouler aussi mon âme et ma cervelle Grincent, grincent, grincez mes freins Je sens grincer mon cœur pour toi, pour toi, ma belle N' pouvant lui jeter des fleurs, il lui jetait du charbon... Tandis que, rougissante, elle comptait les wagons Roule, roule, roule toujours Roule et grince, beau train d'amour... Un matin qu'il filait à vingt-et-un à l'heure Il pensa "La fortune sourit aux audacieux" Au passage à niveau, là, devant sa demeure, Il stoppa, descendit et dit l'œil comateux "Je vous aime, je vous veux, je ferai des bêtises" Elle restait pantelante. Il reprit "Croyez-moi, Nous irons à Paris, sur mon train d' marchandises" Elle oubliait de fermer sa barrière en bois Roule, roule, train pas pressé Et là-bas, sur la route, le drame se dév'loppe Grincent, grincent, freins mal graissés Une petite Rosengart conduite par un vieux myope S'engouffre dans le passage, pulvérise le train... ah ! Et sans se rendre compte, continue son chemin Roule, roule, train de malheur Roule, tête du conducteur D'un chaos de wagons le talus se tapisse Les cerises, le charbon, les pieds du conducteur Un crie monte : ce sont les poissons qui gémissent Et la garde-barrière sanglote de terreur Nouvelle Salomé, elle court, elle saute Ramasse la petite tête de son cher adoré Elle baisote ses moustaches lui disant "C'est ma faute Si t'es mort en service et le train défoncé" Roule, roule, train de malheur Maintenant, le tocsin sonne dans les villages Grincent, grincent, freins de mon cœur De partout on accourt, elle pousse un cri sauvage, ouh ! Après bien des recherches, au bout d'une heure ou deux On la retrouva morte dans le wagon de queue Roule, roule, train de ferraille Elle avait avalé un rail ! [variante des quatre derniers vers:] Et maintenant, la pauvre folle qu'on aperçoit Les soirs d'hiver, cherchant sa voix le long des voies C'est elle, c'est elle, la garde-barrière Elle passe les rails au papier d' verre !