On n'en voit plus guère. Une espèce Qui disparaît très rapidement Même les Bretonnes, même les négresses, Forcément, chère Madame Durand, Ces filles, on les a toutes pourries C'est elles maintenant qui font la loi Pensez, la nôtre était nourrie Et logée, plus l'argent du mois ! Aussi, il ne faut pas qu'on s'étonne On a tout fait pour les gâter On était trop bon pour les bonnes Vraiment, c'est à vous dégoûter ! Moi qui suis faite pour être patronne Et déployer d' l'autorité, Eh bien ! Quand je sonne, il ne vient personne Car y a plus d' bonnes. Quelle société ! Pensez, chez moi, j'en ai eu seize Je leur faisais un petit nid coquet, Un lit, une table, une lampe, deux chaises Ça donnait sur les cabinets, Evidemment, ça manquait d' vue On n'y voyait jamais l' soleil Mais la nuit, c'est chose superflue Surtout avec un bon sommeil Et quand le réveil carillonne, Au point du jour, joyeusement, Sachant que le soleil rayonne Devant, dans tout l'appartement, On se lève et l'on se savonne Avec plus d'zèle, évidemment Le soleil luit, Le gaz ronronne Mais y a plus d' bonnes ! Sombres moments ! Leur travail ? Ah, laissez-moi rire ! Vider les pots, ranger les lits, Faire la vaisselle, frotter et cuire, Passer les cuivres au tripoli, Trois fois par jour, servir à table, Faire chaque matin une pièce à fond, Les courses, un travail agréable, Repasser le linge de maison, Trois fois rien ! Avec ça, gloutonnes ! Même qu'on s' privait souvent, ma foi, Pour qu'il reste du gigot bretonne Ou la carcasse d'un poulet froid, Avec tout ça, j'étais trop bonne, Un jour de liberté par mois Pour s'en aller faire les luronnes ! Ben, y a plus d' bonnes, pourquoi, pourquoi ? On les menait en promenade Le dimanche, on en prenait soin Allant, si elles tombaient malades, Jusqu'à quérir le médecin ! Mais quand, la moustache en bataille, Nos maris les serraient d' trop près, Alors on surveillait leur taille Ça n'ratait pas, quatre mois après, On renvoyait la jeune personne, En la tançant sévèrement ! C'était le devoir des patronnes, Nos maris n' pouvaient décemment Etre les pères des enfants d' nos bonnes C'est tout d' même un gros soulagement De n' plus voir ces ventres qui ballonnent. Comme y a plus d'bonnes, y a plus d'enfants ! Ça devait finir dans la débauche, Selon la loi du moindre effort. Tout ça, c'est la faute à la gauche, Aux Soviets, à Blum et consorts J'en ai reçu une, cet automne, Qui m'a dit d'un air insolent "Bonne à tout faire ? Moi, j'suis pas bonne !" Elle est partie en m'insultant La morale, je vous l'abandonne : La base du régime bourgeois, Son piédestal, c'était... la bonne ! Sans elle tout s'écroule à la fois L'Office, le Salon, la Couronne L'Ordre, l'Autorité, la Loi ! Y a plus d' bon Dieu, y a plus personne ! Quand y a plus d' bonnes, y a plus d' bourgeois !