Eugénie Buffet

La Paimpolaise

Eugénie Buffet


Quittant ses genêts et sa lande, 
Quand le Breton se fait marin, 
En allant aux pêches d'Islande 
Voici quel est le doux refrain 
Que le pauvre gars 
Fredonne tout bas : 
"J'aime Paimpol et sa falaise, 
Son église et son Grand Pardon, 
J'aime surtout la Paimpolaise 
Qui m'attend au pays breton." 

Quand leurs bateaux quittent nos rives, 
Le curé leur dit : "Mes bons fieux, 
Priez souvent Monsieur Saint Yves 
Qui nous voit, des cieux toujours bleus." 
Et le pauvre gars 
Fredonne tout bas : 
" Le ciel est moins bleu, n'en déplaise 
A Saint Yvon, notre Patron, 
Que les yeux de ma Paimpolaise... 
Qui m'attend au pays breton ! " 

Le brave Islandais, sans murmure, 
Jette la ligne et le harpon ; 
Puis, dans un relent de saumure, 
Il s'affale dans l'entrepont... 
Et le pauvre gars 
Soupire tout bas : 
" Je serais bien mieux à mon aise, 
Devant un joli feu d'ajonc, 
A côté de la Paimpolaise 
Qui m'attend au pays breton ! " 

Mais, souvent, l'océan qu'il dompte 
Se réveillant lâche et cruel, 
Le jour venu, quand on se compte, 
Bien des noms manquent à l'appel... 
Et le pauvre gars 
Fredonne tout bas : 
" Pour aider la marine anglaise 
Comme il faut plus d'un moussaillon, 
J'en f'rons deux à ma Paimpolaise, 
En rentrant au pays breton ! " 

Puis, quand la vague le désigne, 
L'appelant de sa grosse voix, 
Le brave Islandais se résigne 
En faisant un signe de croix... 
Et le pauvre gars 
Quand vient le trépas, 
Serrant la médaille qu'il baise, 
Glisse dans l'océan sans fond 
En songeant à la Paimpolaise 
Qui l'attend au pays breton ! ...