Au premier temps de la vache, Toute seule dans son pré, elle est là, Au premier temps de la vache, Y a l'éleveur, y a la bête et y a moi, Et ma faim qui bat la mesure, La mesure de mon estomac, Et ma faim qui bat la mesure, Mesure aussi mes fins de mois. Une vache à mille francs, Comme ce serait charmant, Comme ce serait charmant Et beaucoup plus tentant Qu'un' vache à deux mille francs, Une vache à mille francs. Une vache à mille francs, F'rait l'filet à cent francs, L'rumsteack à soixante francs, Le gîte à quarante francs, L'aloyau à trente francs, La culotte à vingt francs. Un' culotte à vingt francs, F'rait la côte à quinze francs, La poitrine à douze francs, La bavette à dix francs, Le collier à huit francs, Le jarret à quatre francs. Un jarret à quatre francs, Ce s'rait intéressant Et plus avantageux Pour faire un pot-au-feu Qu'un jarret à mille francs, Un jarret à quatre francs... Au deuxième temps de la vache, C'est à peine si je l'aperçois, Au deuxième temps de la vache, Y a du monde entre la bête et moi. Il y a l'tueur qui passe la mesure, L'transporteur qui lui emboîte le pas, Pendant qu'Fontanet nous assure Que la viande de la vache ne monte pas. Une vache à mille francs, En quittant l'Morbihan, Devient chemin faisant Comme par enchant'ment Un' vache à cinq mille francs En arrivant au Mans. Un' vache à cinq mille francs, On ne sait pas comment, Augment' de vingt pour cent En traversant Le Mans, Et d'vient par conséquent Un' vache à six mille francs. Un' vache à six mille francs, C'est bougrement tentant, C'est bougrement tentant Pour les gens d'Orléans D'en faire innocemment Un' vache à dix mille francs. Une vache à dix mille, En sortant de la ville, Pris' dans un tourbillon Devient à Arpajon Par un calcul habile Une vache à vingt mille, Cent mille à Montlhéry, Deux cents à Juvisy, Trois cent mille à Orly, Arrivant à Paris, À la Port' d'Italie La vach' n'a plus de prix. La vache est aux Gobelins Multipliée par vingt, Par deux cent cinquante deux Au carr'four Richelieu, Et par huit cent dix sept En sortant d'La Villette... Au dernier temps de la vache, En rôti, sur l'étal, elle est là, Au dernier temps de la vache, Y a un monde entre sa viande et moi. Et l'Etat, qui prend des mesures, L'Etat qui mesure notre émoi, Et l'Etat qui prend des mesures, Fait monter un peu plus chaque mois. De la vache à cent francs, On en mangeait autant, Autant qu'on en voulait, Et plus qu'il ne fallait, À midi, au dîner, Et dans l'café au lait. D'la vache à cinq cent francs, C'est déjà plus gênant, Quand on mange en moyenne Dix kilos par semaine, Pour avoir mon content Je privais les enfants. De la vache à mille francs, De la vache à mille francs, Il vaut mieux carrément Se gaver d'ortolans, Et s'offrir des homards Tartinés de caviar. D'la vache à deux mille francs, Ça s'ra pour l'jour de l'an, On la mangera truffée, Sur un grand canapé, On gardera l'foie gras Pour les autr's jours du mois. D'la vache à cinq mille francs, Ça d'viendra un placement, Avec mes lingots d'or, Dans mon grand coffre fort, J'entass'rai les rumsteacks Et les coupons d'beefsteack. D'la vache à cinq mille francs, Ça d'vient décourageant, C'est pas qu'on soit méchant, Mais un beau jour, pourtant, Il faudra bien qu'on sache Qu'on n'peut plus suivr' la vache !