Charles Trénet

Miss Emily

Charles Trénet


Ils s'étaient rencontrés en gare de BudapestMais, lorsqu'en arrivant tous deux en gare de l'Est,Soudain, pris d'un culot excessif à son âge,Il lui dit : "Voulez-vous que je port' vos bagages ?"Six mois après, ils étaient mariés.Il était charmant. Elle était anglaiseEt tout le jour, il soupiraitCette chanson, ne vous déplaise :Miss Emily, vous êtesLa muse du poète."Le poète c'est moi, avec un grand chapeauEt la muse, c'est vous, couverte d'oripeaux."Miss Emily, cher ange,Ah ! L'envie me démangeDe vous mordre le cou, si vous ne m'aimez pas.Vous m'aimez Emily, n'est-ce pas ? Oui ?Ah ! Quoi qu'il arrive, quoi qu'il arrive,Vous êtes passée sur ma rive,Quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse,Le temps s'enfuit et tout s'efface.Il se montra très doux, elle se montra coquette.Elle lui flanquait des coups, il en restait tout bête.Il faisait le marché, balayait le salon,Il réparait l'évier, le toit de la maison.Six mois après, il ne marchait plus.Il était bancal, elle était anglaiseEt malgré ça, toujours ému,Il lui chantait, ne vous déplaise.Un jour, il eut assez de cette vie de bagne.Il amène Emily là-haut sur la montagne,Soi-disant pour cueillir d'innocents champignons,Mais il a son idée, son idée, le mignon.C'est un couteau qu'il brandit soudain.Il était terrible, elle était anglaise,Mais au moment de mourir un brin,Il lui chanta, ne vous déplaise :Miss Emily, vous êtesLa veuve du poète.Le poète, c'est moi, avec un grand couteauEt la muse, c'est vous qui me tuez bientôt.Miss Emily, je pleureDes larmes comme du beurre,Mais avant de mourir, avant mon trépas,Vous m'aimez Emily, n'est-ce pas ?Oui, ah !Je me décide, je me décideA ce charmant petit suicide.Quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse,Le temps s'enfuit et tout s'efface.