Jacques Bertin

Ballade de la visite au bout du monde

Jacques Bertin


Un soir de grande lassitude et de routes perduesVenant de loin comme toujours et sans calculParti trop tard comme toujours pour le voyage au bout du mondeOù l'on va chercher l'or improbable des sept citésJ'ai laissé l'auto tiède sur la placeLe village est une rose noire au bord de mer jetéePar les ruelles dans la rose noire je suis montéJusque chez vous sans savoir si j'allais oser frapperUne silhouette dans le carré de lumière, femme aiméeJe suis fou ! Je viens me cogner au bout du monde- Qui est-ce à cette heure ? Les enfants sont couchés !Répondez-moi, répondez-moi, je suis traqué !La porte qu'on dirait depuis cent ans ferméeS'ouvre et la menace des chiens se desserreTu me cherches, tu interroges, je sors de l'ombreTu cries, tu fermes sur moi la porte, je suis sauvéOn s'installe autour de l'heure qui bat comme si rien n'étaitOn questionne, on fait l'inventaire, on s'étonneLe cœur est grand offert sur la nappe ciréeOn parle de rien et sans attendre de réponseJe te demande sans pudeur : Es-tu heureuse ? et tu dis : - ouiTu ris de la question, on est au bout du mondeOn enlève à la table un éclat de soleilEt je te dis que tu es belle et que je t'ai toujours aiméeJacques m'emmène voir la maison nouvelle au fond du jardinDans la nuit noire c'est folie on ne voit rienMais dans la nuit la plus noire tu connais ton cheminChaque mur, chaque pierre, chaque ombreLa maison est plantée devant le marais et la merTu es arrivé, pour toi la route ne va pas plus loinIl faut se battre sur place, la vie n'est plus pour demainTu ne peux plus détourner la conversation, c'est bienEt moi déjà je fuis sur la route qui file vers RoyanL'auto rêve, elle n'a pas besoin de son maîtreMais à peine je suis seul à nouveau, j'ai malJe gâche le temps et les mots, j'ai peur du bonheur et desrosesLe bonheur, est-ce que c'est vraiment si peu de choses ?Si le rythme du cœur est si lent... que sais-je...Pris dans cette solitude comme dans les glaces, ons'arrête,On étouffe, on ne ni avancer ni reculer, on crève...Je rentre dans le premier hôtel ; on me prend pour un fouMoi aussi je connais mon chemin ! Dans le lit je me roule enbouleJ'oublie tout.